Le n° 26 de l’Art de l’aquarelle vient de paraître. Dans la rubrique actualités, rencontre avec la Japanese Watercolor Society présidée par Ryoyu Fukui.
Trois artistes révélés : le belge Fernand Thiepondt, membre d’aquarellistes en Nord et le russe Sergey Kurbatov, et en fin de magazine le français Olivier Oudard, sans oublier la «peinture préférée» d'Alex Powers, suivie de 8 artistes avec la rubrique «ma dernière peinture».
A la rencontre de l'esprit du lieu selon le Français Théo Sauer, puis nous apprenons comment évoluer en tant qu'artiste pour «devenir un artiste à succès» par le groupe d’artistes composé de Janine Gallizia qui, nous livre aussi en pages 84 à 87 «les clés de la réussite» et de Mark Mehaffey, Chen Chung Xei et David Poxon.
Le portfolio du Thaï Direk Kingnok, la touche libre du roumain Corneliu Dragan et la vie d’artiste du turc Orhan Gürel .
Rencontre dans l’atelier de l’américaine Katherine Chang Liu qui pratique l’abstraction en mixed media et avec la russe les monochromes de la russe Dasha Rybina qui nous livre les secrets du monochrome.
Un dossier autour de John Singer Sargent et de ses disciples : Iain Stewart, Ted Nuthall, Lucy Willis et Keith Hornblower.
Enfin, la rubrique technique avec les textures du hongkongai Stephen Yau, puis le concours des lecteurs qui récompense Claude Carretta.
L'actualité
La Japanese Watercolor Society
La JWS, fondée en 2010, a une histoire plus relativement courte, mais néanmoins prospère, comparée aux autres sociétés japonaises. Un des événements phare fut la célébration de ses cinq premières années. Comme le précise Ryouyu Fukui, président de la JWS : "La société est gérée par les artistes qui chacun à leur façon promeuvent l’aquarelle, aussi bien à l’intérieur de nos frontières qu’à l’étranger. La JWS joue en fait le rôle d’un pôle qui soutient globalement chacun de ses membres, en annonçant leurs expositions et la sortie de leurs ouvrages."
La Biennale de Brioude
Huit mille visiteurs, 370 œuvres vendues pour cette biennale d'été à laquelle ont participé Marc Folly, Pascal Pihen, Yves Coladon et Tom Joseph.
Le fait que l’on en soit à la 7e biennale – avec beaucoup de choses déjà vues lors des éditions précédentes – nous a donné envie de vraiment aller vers des choses différentes.
Page 12 Sylvia Crozemarie, présidente de la biennale
Révélations
Le belge Fernand Thienpondt
Je considère l’aquarelle (et toute forme d’art, d’ailleurs) comme une manière de vivre plus intensément, en apprenant à mieux « voir » et « sentir » ce qui nous entoure. Cela transparaît dans mes « observations de la nature ».
Dans mes oeuvres, je m’efforce de créer des scènes captivantes avec la lumière, le choix et les valeurs des couleurs, l’atmosphère et le mouvement. Page 16 Fernand Thienpondt
Le russe Sergey Kurbatov
J’aime par-dessus tout peindre la neige ; de novembre à avril, tout en est recouvert. Selon la lumière et le temps, elle arbore de multiples nuances, très subtiles.
Page 17 Sergey Kurbatov
Ma palette dépend du sujet que je peins. Mais j’emploie le plus souvent l’ocre jaune, la terre de Sienne brûlée et l’indigo. La plupart du temps, j’utilise 2-3 couleurs de base et 2-3 couleurs additionnelles.
Le Français Olivier Oudard
2e lauréat du concours permanent, Olivier réalise des portraits vivants.
Je débute par un dessin au crayon, plus ou moins précis, en fonction des personnages que je représente : lorsqu’il s’agit de gens de mon entourage, il faut qu’ils soient parfaitement reconnaissables, ce qui est le dernier de mes soucis pour d’autres modèles. Je ne sais pas vraiment où je vais lorsque je débute une peinture, je commence en général par le visage, qui est la seule partie que j’ai l’impression de maîtriser un tant soit peu, puis je vais ensuite tenter de le mettre au mieux en valeur, avec les vêtements, le fond et d’éventuels accessoires, en jouant sur les accords de couleurs et surtout sur les valeurs.
Page 96 Olivier Oudard
La peinture préférée d'Alex Powers
J’ai trouvé la posture de la danseuse, avec sa jambe levée, très intéressante. En même temps, je ne voulais pas que mon tableau ait pour cadre un studio de danse… ou, de fait, n’importe quel autre endroit prévisible. À l’époque où cette danseuse – appelée Ivey Hill – posait pour moi, j’étais tombé sur cette vieille maison victorienne. Aussi, la décision de réunir ces deux sujets s’est pour ainsi dire imposée d’elle-même. En fait, la question que l’on peut légitimement se poser est la suivante : mais pourquoi danse-t-elle devant une maison de la fin du XIXe siècle ? Ma peinture devait fonctionner sur un plan visuel.
Page 88 Alex Powers
Ma dernière peinture
Ces artistes ont déjà été publiés dans l'Art de l'Aquarelle, nous retrouvons leur dernière peinture.
The receding tide in St. Malo, Chris Robinson
50X71cm
C'était un exercice très facile de valeur et de profondeur, qui m’a permis d’éviter la tentation de me lancer tout de suite dans un sujet très complexe.
Tales of Wheel N°4, 76x54 cm Lok Kerk Hwang
71x50 cm
Je me suis concentré sur les roues rouillées et les paniers en osier, le tout sur fond de rue passante.
Surfaces and Edges, Barbara Nechis
49x55 cm. Aquarelle, acrylique, Encre
J’aime ce tableau du fait que l’abstrait est un genre complètement différent pour moi, ainsi que pour son utilisation de l’encre sumi-e et d’une surface que je ne connaissais pas bien..
Large Rocks, Joe Dowden
65x50 cm
Ce tableau s’inspire de la grande beauté des chaînes de montagnes de la péninsule arabique.
La Galerie des Glaces à Versailles plongée dans la lumière des contes de fées, Paul Dmoch
65x50cm
Je suis fasciné par la mise en lumière, par l’importance de l’éclairage et de la lumière dans la peinture. Apprendre le jeu de lumière c’est s’oublier soi-même et dépouiller son propre corps-esprit et celui des autres.
Passage, Marie-Line Montecot
96x63 cm
Je me suis laissée guider par mon inspiration, n’ayant pas d’idée préconçue sur la composition, mais plutôt inspirée par l’amour de la montagne et le goût des grands paysages qui m’habite.
Green Land N°8, Tan Suz Chiang
38x60 cm
Mon défi ici : peindre avec une palette de verts, une couleur avec laquelle je n’ai pas l’habitude de travailler.
Blue Blue Morning, Thomas W. Schaller
45.7x60.9 cm
Cette peinture est entièrement le fait de mon imagination. En fait, je l’ai rêvée. Cela m’arrive parfois : je me réveille avec l’envie de dessiner mon rêve avant de l’oublier ou avant même d’essayer de l’analyser.
Théo Sauer

L'esprit du lieu avec Théo Sauer
Théo arpente les friches industrielles pour en prendre possession et les restituer dans des camaïeux de gris lumineux. Pour les peindre, il doit les visiter lui-même et les ressentir. Il protège ses œuvres à l’aide d’un vernis mat polyuréthane spécial beaux-arts, garanti sans jaunissement. Plusieurs couches sont nécessaires, poncées les unes après les autres, la dernière est passée au tampon. Cela les protège contre le temps, l'eau voire le mercurocrhome.
En visitant les lieux abandonnés, j’ai toujours une petite montée d’adrénaline. Peu rassurants, ils semblent hantés par leur passé. Plus tard, en me retrouvant devant la feuille blanche, je ressens cette même excitation mais aussi de nouvelles sensations. J’imagine toute une activité humaine, des odeurs, des sons.
Page 26 Théo Sauer
L’alchimie entre lumières, couleurs et textures donne du sens à mon travail. J’aime avant tout l’espace et la perspective des bâtiments industriels, tantôt monumentaux, tantôt minimalistes.
Démo : une verrière en transparence
- Je dessine la structure au crayon avant de passer du drawing gum sur les montants de la verrière, ainsi qu’au premier plan, en bas à droite. Je me lance ensuite avec mes premiers jus colorés.
- Le drawing gum me sert à masquer les zones sur lesquelles je reviendrai ensuite grâce à différents lavis. J’ai ainsi masqué par endroits la structure métallique de la serre.
- À l’aide de différents mélanges de verts, je mets en place l’arrière-plan de verdure, que l’on distingue par intermittence à travers les carreaux.
- Je peaufine mes détails, en ajoutant de la mousse et de la rouille.
Evolution d'artiste
Pourquoi et comment évoluer en tant qu'artiste
Le témoignage de quatre aquarellistes de renom livrent leur analyse, leurs réflexions mais aussi leurs doutes sur ce sujet qui nous touche tous.
Au cœur de chaque grand artiste, on trouve la foi, la croyance inébranlable en sa capacité et ses idées. C’est là que se niche l’âme d’un artiste. Avoir une bonne technique et arriver à susciter de l’émotion ne sont pas les éléments les plus importants pour réus-sir, et aujourd’hui, à mon avis, on met trop l’accent sur cela dans l’enseignement classique des arts. Ce n’est pas le « comment » mais le « pourquoi » qui doit être saisi par l’artiste en devenir et aujourd’hui la plupart s’attachent à devenir techniquement brillants au risque de perdre ce qui permet d’évoluer tout au long de la vie : confiance et vision intérieure.
Janine Gallizia
L’évolution est essentielle pour moi, sinon pourquoi peindre ? Pourquoi se lever le matin si vous n’avez pas le désir d’évoluer ? J’essaie d’être un meilleur peintre et une meilleure personne chaque jour. Mon évolution personnelle dépend de cela car la peinture est un des moyens que j’ai choisi pour m’exprimer. Il y a beaucoup de peintres, mais peu d’artistes. Je ne juge pas en disant cela car il y a des peintres brillants et des artistes « nuls » et vice et versa, et de la place pour tous.
Je veux que de mes peintures émane de l’émotion. De cœur, je suis d’abord une dessinatrice, donc je souhaiterais combiner les deux techniques, peut-être même en mettant le dessin plus en avant. Je n’ai pas l’ambition d’acquérir la technique la plus impressionnante qui soit, ni de créer un nouveau style ou de porter l’aquarelle au plus haut… Je veux pouvoir regarder mes peintures et me reconnaître en elles, mais à l’heure actuelle, je n’en suis pas encore là.
Page 32 Janine Gallizia
Rezanico Palace 2000
Cette année-là, j’ai peint une série de 8 peintures autour du thème des intérieurs complexes aux sols carrelés. J’ai tout dessiné à main levée. Mon but ici : maîtriser la perspective.
On Deck 2004
Son évolution au cours des cinq dernières années a été de libérer ses formes et de les combiner avec une utilisation subtile de la couleur, des valeurs et des formes afin de donner une forte charge émotionnelle à ses peintures.
Three Bicycles 1 2006
Je crois beaucoup en la puissance de l’esprit. Après tout, si vous ne savez pas ce que vous voulez, comment voulez-vous l’obtenir ? Mes buts sont très clairs dans mon esprit, je sais ce que je veux, je crois en moi et en ma peinture et les résultats suivent.
Mark Mehaffey
Je crois en tant que peintre que le changement doit être invité. Rester immobile en peignant de la même façon les mêmes sujets mènera à une certaine maîtrise technique… mais sans l’alliance composée par le cœur, l’esprit et la main, vous perdrez le cœur.
Si vous aimez ce que vous faites, continuez par tous les moyens. Mais à mesure que nous vieillissons et changeons, notre travail aussi devrait changer. En tant que peintre et dans ma vie per-sonnelle, j’ai des centres d’intérêt variés et parfois antinomiques. Cela m’a conduit à une multitude d’approches conceptuelles et techniques pour réaliser des peintures, sans jamais me limiter.
J’ai plusieurs méthodes (mes amis artistes pensent que j’ai plu-sieurs troubles de la personnalité), des concepts multiples, et un grand nombre de peintures commencées depuis des années. Je ne suis pas mené par la technique, mais plutôt par les idées. Cela signifie que je change librement la façon dont je mets en œuvre la peinture pour m’adapter à mon idée et non l’inverse.
Page 34 Mark Mehaffey
Chen Chung Xei
J’ai vu combien c’était bon d’évoluer et j’aime partager ce sentiment avec les autres. Chacun a des personnalités et des valeurs différentes, et personne ne peut mieux comprendre votre situation que vous-même ; vous devez donc apprendre à vous écouter. Je suis chanceux car j’ai les idées claires quant à ma personnalité et mes valeurs, et je me suis donc fixé des buts en fonction de cela.
Entre 2002 et 2012, j’ai produit avec difficulté chaque aquarelle mais sans jamais arrêter les démonstrations en classe. J’ai même pensé que je n’avais pas vraiment compris l’art de l’aquarelle jusqu’à ces deux ou trois dernières années. Le problème ne se trouve pas dans la technique choisie, mais dans l’imagination mise au service de l’image. J’insiste plutôt sur l’expression de la nature en utilisant les caractéristiques des médiums. Ainsi, je n’aime pas l’aquarelle réaliste, et spécialement hyperréaliste, qui ressemble à une photo. Plus la peinture est réaliste, moins l’aquarelle est plai-sante. J’aime le charme unique de l’aquarelle : utiliser de grandes quantités d’eau pour faire des projections et des coulures, peindre sec sur sec pour laisser des textures très apparentes.
Page 36 Chen Chung Xei
Still Life at Midnight 2000
Cette peinture a demandé à l’artiste pas moins de 150 heures de travail !
Glasgow 2013
Chen suit une inspiration traditionnelle vers un art incorporant les influences occidentales.
David Poxon
Ma propre pratique essaye de montrer quelque chose qui va au-delà d’une attirance pour la surface ; parfois, cela fonctionne et d’autres fois non – tel est le dilemme constant de l’aquarelliste ! Cependant, lorsqu’une peinture « marche » vraiment, il y a une résonance qui va au-delà du plan pictural et du sujet, qui touche les spectateurs et qui transcende la simple expérience visuelle. Rendre compte de la « réalité » de mes sujets qui sont les choses du quotidien, humbles, délaissées, les objets et les lieux de travail de l’homme, est une expérience à la fois puissante et stimulante. Je ressens une excitation entière et respectueuse au début de chacune de mes œuvres. Je ressentais déjà cela lorsque j’étais un petit garçon mais je n’avais pas les mots pour le dire. Mais les braises de l’inspiration sont toujours aussi incandescentes aujourd’hui.
Page 38 David Poxon
Field of Dreams 2011
Démonstration des dons d’observation de David, de sa maîtrise du dessin, des valeurs et sa manière de guider subtilement le regard du spectateur dans la peinture.
Killing Time 2012
Un sujet simple qui a attiré l'œil des jurés lors la biennale internationale de Shanghai en 2012.
O. Gürel
Orhan Gürel
Je suis beaucoup plus à l’aise avec des paysages que je connais. C’est à partir de l’atmosphère ambiante que je ressens l’envie de les retranscrire à l’aquarelle.
J’essaie de me remplir de mon motif et de le ressentir au plus profond de moi. Il n’y a pas beaucoup de règles que je suis à l’aquarelle.
Aussi, ne pas en tenir compte n’est pas pour moi un grand souci. Je peins souvent en extérieur.
Les deux inconvénients principaux de l’aquarelle sur le motif sont la lumière et la concentration. Pour y remédier, je saisis des instantanés à l’aide de mon appareil photo.
Je pense que seules les réactions des spectateurs sont la mesure de cette réussite. J’aimerais mettre l’accent sur le pouvoir évocateur de la lumière. Mon but en fait est que les spectateurs ressentent la lumière, et donc l’atmosphère, telles que je les ai moi-même vécues.
Page 40 Orhan Gürel
- Je commence par une esquisse au crayon. Ce n’est pas toujours le cas, il m’arrive parfois de me lancer directement dans la peinture. Ici, il ne s’agit que de repères pour mes formes futures.
- Je place d’abord mon fond, à la fois clair et transparent. Le ciel et la mer sont de la même valeur, avec quelques nuances plus foncées au premier plan.
- Je pose mes premières couleurs ainsi que les premières ombres. Un vert-jaune m’aide à représenter la végétation touffue. Une même couleur est répétée à plusieurs endroits de la composition afi n de maintenir mon harmonie colorée.
- Je me concentre à nouveau sur les ombres – qui apportent des contrastes forts de valeur – ainsi que sur l’arrière-plan. Je dessine également les éléments secondaires qui vont animer ma composition, tels que les toits et les murs des façades en alternant entre celles qui sont dans l’ombre et celles qui sont dans la lumière.
- J’accentue encore un peu plus les ombres et je précise davantage mes formes à l’aide de quelques touches parcimonieuses de couleur : du violet notamment, complémentaire de mon vert-jaune.
- Les derniers rehauts sont apportés. Je « ferme » ma composition en ajoutant des arbres sur la partie gauche. Les bateaux dans l’anse sont placés à l’aide de pointes de gouache blanche.
D.Kingnok
Le portfolio de Direk Kingnok
Mes peintures parlent avant tout de ce que je vois et des impressions que je ressens lors de mes voyages. Beaucoup de personnes qui voient mes tableaux en parlent en termes de composition, de la vie qui y est montrée et des émotions de l’instant. C’est vrai que tous ces éléments sont des choses que je prends en compte lorsque je peins.
J’aime mélanger mes couleurs. Je pense que la couleur et la manière dont un artiste s’en sert montre son cheminement et sa pensée. Elle m’aide à transmettre mes émotions au spectateur.
Page 53 Direk Kingnok
Repères
Né le 3 juillet à Nakhonratchasima, en Thaïlande
Débute l'aquarelle en 2003,
première exposition solo en 2001
Je dois avant tout ressentir mon sujet pour avoir envie de le peindre. Parfois, il m’arrive de ne rien éprouver face à un sujet potentiel. L’opinion que je dois me forger et les émotions que je dois ressentir sont la condition pour que je me mette à peindre.
C.Dragan
Corneliu Dragan La lumière vient de l'intérieur
Je suis « tombé » dans l’aquarelle il y a cinq ans et, depuis lors, je peins huit heures par jour, cinq jours par semaine. J’aime vraiment cela et je voudrais que cela devienne quelque chose de naturel, comme manger ou même danser. Je ne saurais dire si j’applique de manière constante la même technique d’une peinture à l’autre ; tout dépend en fait du sujet et surtout, surtout du moment. Chaque aquarelle est un défi et parfois ce défi trouve une issue heureuse très rapidement, tandis que d’autres fois, plus de labeur est nécessaire.
Je pense que, dans les scènes urbaines, la perspective est la chose la plus importante. Puis libre à chacun de décider si l’on veut mettre l’accent sur les bâtiments, les rues ani-mées, la lumière et l’ambiance générale… L’artiste fait des choix et peut à loisir enlever un élément, le mettre en valeur ou au contraire diminuer sa portée.
Page 55 Corneliu Dragan
Rencontres
Katherine Chang Liu La voie de l’abstraction
Je n’ai jamais été une puriste… même au tout début. Je n’ai pas reçu de formation académique, aussi je n’ai jamais vrai-ment su ce que voulait dire la tradition en aquarelle. Je me suis toujours servi de ce dont j’ai eu besoin. Je mélange des lignes au fusain avec de l’aquarelle, car j’aime le côté flou des lignes de contour que cela donne. Je me sers aussi du collage pour attirer le regard sur certains endroits. Quant à l’aquarelle, je l’utilise telle quelle, c’est-à-dire sans la mélan-ger avec quoi que ce soit d’autre que de l’eau.
Page 55 Katherine Chang Liu
Tableau à la loupe
- LE TITRE ET L’IDÉE DERRIÈRE LE TABLEAU : « Is There Anybody Out There » est le vers d’une chanson de mon groupe préféré, Pink Floyd, Comfortably Numb, qui parle de ma drogue (sur l’album The Wall, sorti en 1979 – NDLR). Mais le tableau lui-même n’a rien à voir avec la prise de conscience d’une personne accro ! Il a plutôt à voir avec la question d’un point de vue astronomique : sommes-nous seuls dans l’univers ? C’est une des questions que je me pose depuis que je suis enfant. C’était l’idée derrière ce tableau.
- LES PAPIERS COLLÉS : Les éléments collés sur le tableau sont des images prises par différents télescopes, Hubble entre autres. Mon tableau cherche à parler de cette quête de l’Autre et de notre place dans l’univers.
- LE FORMAT CARRÉ : Pendant des années, j’ai peint sur des formats rectangulaires. Et puis, un jour, je me suis demandé finalement pourquoi je me restreignais au format imposé de ma feuille. À partir de ce moment-là, j’ai cessé de m’en tenir à la dimension de mon support. Récemment, je me suis lancée dans des œuvres carrées qui sont pour moi un défi des plus stimulants. Mais peut-être cela changera-t-il aussi ?
Dasha Rybina Les secrets du monochrome
Les œuvres monochromes constituent mon intérêt du moment. À une période, j’en ai eu marre de travailler avec la couleur. J’aime les vieilles photographies, et grâce aux nou-velles technologies de l’imagerie, elles n’ont plus de secrets pour nous aujourd’hui. Ce sont elles qui m’inspirent pour mes œuvres. J’aime ce qu’elles montrent et ce qu’elles cachent, ce qui est effacé. Le noir et blanc peut être très expressif. Mais la composition d’une image est ce qu’il y a de plus important.
Je dessine presque chaque jour. Je travaille à mes peintures en noir et blanc à la maison, après des voyages où ai recueilli de nouvelles idées. Je passe entre 2 et 7 jours sur une œuvre, sans compter le dessin. Pour mes œuvres monochromes, j’utilise deux tons : encre de Chine noire et aquarelle noire. Cela permet d’obtenir des noirs très profonds.
Je réalise d’abord une esquisse qui va déterminer le futur processus de travail. Étant donné que je détaille assez précisément les bâtiments architecturaux, la première chose que je fais est de transférer mon esquisse sur la feuille, car l’exactitude est très importante.
Page 55 Dasha Rybina
A presque 32 ans, elle est benjamine des artistes russes vues dans AdA23.
Sargent
John Singer Sargent , L’aquarelle en héritage
John Singer Sargent (1856 - 1925) est un peintre américain prolixe qui composa plus de 2000 aquarelles.
Ses aquarelles montrent les réalités qui enchantent l’œil et de temps à autre posent sur ces réalités un voile d’imagination, suggérant quelque chose de plus profond que les raisons pour lesquelles ses aquarelles sont aujourd’hui célébrées. Elles possèdent un sentiment d’impromptu, comme si l’artiste était tombé sur une scène par hasard et qu’il l’avait traduite en peinture. Il était l’inverse d’un “faiseur d’images” ; ses aquarelles sont des fragments, des morceaux qu’il a soustraits au monde visible parce qu’ils plaisaient à son œil, et non pas parce qu’il s’agissait d’un sujet pittoresque ou qu’il évoquait une ambiance.
Page 68 Evan Charteris
Quatre aquarellistes qui, à divers degrés et pour des raisons différentes, ont été influencés par Sargent, expliquent les raisons de cette attirance.
Iain Stewart, Voir les formes avant le sujet
Sargent peignait ce qu’il voyait. Son sens de la composition et sa maîtrise de l’aquarelle sont tout simplement époustouflants mais je retiens avant tout l’idée de peindre le sentiment d’être à un endroit précis et pas l’endroit lui-même. Dans mon travail en atelier, par exemple, j’essaie de rendre les lumières telles que je m’en souviens lorsque j’étais sur le motif. Mais la contrainte est de passer beaucoup de temps en plein air ; si ce n’est pas le cas, vous encourez alors le risque de peindre des choses fantaisistes qui ne sont pas basées sur l’observation.
Page 68 Iain Stewart
CROQUIS TOUT EN FRAÎCHEUR ET SPONTANÉITÉ
- a première étape consiste à réaliser une esquisse pour placer les formes principales. Je garde souvent mes traits de crayon – comme Sargent –, certains de toute façon disparaîtront sous la peinture. Je dessine avec des crayons 2B ou 4B que je ne taille pas afi n de ne pas trop rentrer dans les détails ; cela donne aussi un côté vivant à la ligne.
- Je commence par passer des tons chauds (terre de Sienne brûlée et terre de Sienne) et froids (bleu de cobalt), en prenant soin de contourner mes blancs. Je laisse les couleurs se mélanger sur la feuille, tout en jouant avec de l’eau claire pour récupérer mes blancs. J’ai toujours avec moi un vaporisateur pour apporter de l’humidité. Généralement, j’utilise les mêmes tonalités pour le ciel et le premier plan.
- Une fois le papier sec, je mêle trois godets : le premier est un mélange de bleu outremer et de terre anglaise rouge, le second de terre de Sienne brûlée et le troisième de la terre d’ombre avec une pointe de bleu outremer. Sargent préconisait d’avoir toujours suffisamment de peinture prête. Là aussi, je laisse les couleurs jouer sur la feuille. De l’eau claire me sert à ajuster les valeurs de mes mélanges.
- Je renforce mes ombres et je peins en négatif quelques formes afin d’ancrer ma scène. Je me sers des mêmes mélanges et mes ombres sont augmentées avec de la teinte neutre réchauffée avec de la terre de Sienne brûlée. Je fais atten-tion à suggérer les textures telles que le bois érodé ou le toit en tôle. Une fois ma feuille sèche, je mouille d’eau claire pour lever quelques cou-leurs et donner des rehauts à mes ombres.
- Tout se joue lors de la dernière étape. Je commence par ajouter l’eau et les reflets en même temps. Pour cela, trois couleurs : un mélange d’undersea green et de terre de Sienne brûlée, un autre à base de terre de Sienne et de terre de Sienne brûlée, et l’ombre précédemment utilisée (à base de bleu outremer, de carmin d’alizarine et de terre de Sienne). Là aussi, à l’aide d’un pinceau humide, j’effectue quelques rehauts et une feuille d’essuie-tout m’aide à obtenir des textures.
- LE TABLEAU FINAL : Mes dernières teintes sombres sont à base de teinte neutre ; j’ajoute ensuite quelques rehauts de lumière avec un mélange de jaune de cadmium et de rouge écarlate de cadmium. Je termine par quelques éclaboussures, quelques rehauts oubliés et enfin des projections de blanc de Chine. À l’image de Sargent, tous les moyens sont bons pour obtenir le résultat escompté !
Ted Nuthall, transparence et opacité
Je suis moi-même un grand fan de la transparence de l’aquarelle et des effets qu’elle produit. En fait, un des résultats auquel j’aimerais parvenir est de rendre les plus transparents possible mes sombres les plus foncés. Je me donne aussi comme défi de garder le blanc du papier pour mes blancs, quelle que soit leur taille. Au lieu de me servir de réserves à la cire ou de drawing gum, je prends soin de contourner et préserver mes détails – quelque chose de laquelle Sargent ne s’embarrassait pas !
Ce que j’ai pu voir des œuvres de Sargent – et lire à son sujet – m’a convaincu qu’il travaillait inlassablement pour composer et construire ses œuvres, ajoutant à la toute fin de son travail des touches téméraires qui rendent une impression de naturel et de spontanéité. C’est quelque chose que j’ai vraiment observé chez lui et que j’ai tenté de mettre en œuvre dans mon propre travail. Aujourd’hui encore, c’est un aspect auquel j’accorde beaucoup d’importance.
Page 72 Ted Nuthall
Lucy Willis, Ombres et lumières
Je connaissais les portraits de Sargent avant de découvrir ses aquarelles. Ce fut une révélation. J’ai appris en les regardant qu’il est tout à fait possible de faire une aquarelle intéressante en ne peignant qu’un mur ou une porte ouverte ; il suffi t simplement d’observer les ombres et les lumières. Avant de découvrir son travail, j’utilisais déjà des techniques similaires, mais c’est en voyant ses études peintes en Italie que cela a renforcé encore plus mon désir d’aller dans la même direction. J’ai ainsi observé son utilisation de la couleur et la façon dont il rend les reflets de lumière, son économie de touches. Tout comme lui, j’essaie d’éviter la surcharge de détails.
Page 73 Lucy Willis
Keith Hornblower, Rendre la lumière
En tant qu’illustrateur d’architecture, mon travail était nécessairement détaillé et fouillé, mais voir les aquarelles de Sargent fut comme une bouffée d’air frais. Mon travail en est devenu plus spontané et plus libre… et il l’est encore aujourd’hui. Peindre avec le minimum de touches est pour moi le Graal de l’aquarelle, mais comme je suis humain, je n’y arrive jamais du premier coup et des ajustements s’avèrent donc toujours nécessaires, en ajoutant ceci ou en retirant cela.
La chose la plus importante est de se souvenir de ce qui m’a attiré dans le sujet en premier lieu. Il ne faut jamais perdre de vue ce point initial en cours de route. Il est très facile de se laisser distraire par les détails. Soyez courageux et prenez des gros pinceaux !
Page 74 Keith Hornblower
Sargent m’a fait comprendre qu’il est possible de saisir une scène sans avoir à inclure tous les détails. Si les valeurs sont justes, la peinture fonctionnera. Superposer les touches, ajouter des taches et des contrastes de couleurs complémentaires résulte chez le commun des mortels en un magma incohérent, mais chez Sargent, ça fonctionne. Comme un clin d’œil aux impressionnistes ; je sais qu’il avait d’ailleurs connu Monet et ça se voit dans ses peintures plus tardives.
Des marchandes de perles au Maroc : un sujet qu’aurait certainement pu peindre John Singer Sargent lors d’un de ses nombreux voyages. Loin de pasticher son style, Keith Hornblower nous explique comment travailler à la manière du maître : peindre ce que l’on voit, ni plus ni moins. Comme l’artiste le dit lui-même : « Tenter de rendre en une seule aquarelle tout le savoir-faire que Sargent a pu développer au cours de sa vie entière est bien évidemment voué à l’échec… mais c’est un exercice néanmoins intéressant. Et amusant ! »
Technique
Rendre les textures avec Stephen Yau
Créer une atmosphère théâtrale, tel est le credo de la peinture de Stephen Yau. Pour ce faire, le rendu des détails et des textures est d'une importance capitale.
J’ai tendance à mélanger mes couleurs plutôt qu’à prendre des teintes déjà préparées. En outre, je mélange aussi bien mes couleurs sur ma palette que sur ma feuille Arches. Une couleur en elle-même n’est pas aussi intéressante que les effets que l’on obtient avec celle que l’on pose à côté.
J’aime le style réaliste, c’est vrai. Et retranscrire tous les détails permet à mes aquarelles de délivrer un message d’amour, de paix et d’harmonie. Je pense qu’il est du devoir de chaque artiste d’envoyer un message à travers ses œuvres. Une œuvre d’art peut influencer les gens, aussi bien de manière positive que de manière négative. En fait, je classifierai mon style de « romantisme réaliste ». Et je peins une peinture après l’autre… généralement, il me faut plusieurs jours pour terminer une peinture.
Page 78 Stephen Yau
COMMENT OBTENIR DES EFFETS AVEC DU SEL ?
Le sel est idéal pour réaliser des effets de cristallisation dans un fond. Évitez le gros sel, dont les cristaux absorbent trop de couleur et ont du mal à se dissoudre totalement. La difficulté est de juger la juste humidité du support : trop tôt et le sel crée des étoiles exagérément grandes, d’autant plus inesthétiques si les grains de sel sont trop rapprochés et fusionnent. Trop tard et le sel n’a plus assez d’eau à absorber, diminuant les effets voulus. Tout est donc une question de « timing ».
LE CUTTER, UN OUTIL PRÉCIEUX
J’ai recours, à la fin de mon travail, au cutter. Je peux ainsi venir délicatement gratter la surface pour obtenir des rehauts sur les rebords des creux et des cratères.
Pas à pas Memories 38 x 48 cm
- La préparation de la feuille : je commence par passer du papier de verre très fi n sur ma feuille, puis je la mouille, aussi bien le recto que le verso. Ensuite, je passe différents lavis à base de jaune de cadmium, d’orange de cadmium, de terre de Sienne brûlée, d’ombre brûlée et de bleu céruléum. Je travaille mouillé sur mouillé et du foncé vers le clair.
- La poignée de porte : je me concentre sur la serrure et la poignée de porte en œuvrant mouillé sur sec. Pour cela, j’utilise les couleurs suivantes : terre de Sienne brûlée, ombre brûlée, bleu céruléum et indigo. Je n’oublie pas l’ombre portée sur la gauche, afin d’apporter non seulement du contraste, mais aussi de la profondeur.
- Réhausser les détails : je reviens sur les détails. Je peins à ce stade sec sur sec afi n de rendre les textures.
- Un lavis pour unifier les ombres : Je termine les derniers détails. Je pose ensuite un léger lavis sur les ombres, composé du mélange des mêmes couleurs utilisées pour mon sujet. Je parachève les détails de mes textures à l’aide de projections, en technique sec sur sec.
3ème concours des lecteurs
Gagnant du concours : Claude Carretta. Autres nominés : Madeleine Defawes, Stephane Langeron, Florence Mangin, Alain Masset, Jean-Louis Thibaut, Javier Zorilla Salcedo et Marc Yann-Kel.
Cette peinture montre une grande maîtrise de l’aquarelle, aussi bien de la technique que de la composition – et particulièrement la bouée rouge qui équilibre parfaitement l’image forte des bateaux sur la gauche. Il n’y a aucun détail superflu, et je ressens la richesse de la narration. Tout est à sa place, en lien avec les éléments correspondants. C’est une aquarelle qui peut être accrochée à un mur et appréciée comme une marine agréable à regarder.
Page 90 Chien Chung-Wei
Le concours est ouvert à tous les lecteurs de l’Art de l’Aquarelle âgés de 18 ans et plus résidant dans n’importe quel pays du monde. Il est limité à une seule participation par personne pendant toute sa durée.
Le prochain concours a pour thème le portrait ; c'est trimestriel.
Playa de San Martin. 2015. 40 x 80 cm. Javier Zorilla Salcedo (Madrid)