Se perdre dans la Medina de Casablanca.
Qui des lieux et de ses habitants façonnent l'autre ? Ricochet.
Le projet
A propos de la Medina
La Medina est le cœur historique de la ville de Casablanca. Cette grande ville du Maroc était un petit port de pêche il y a un siècle.
J’entreprends de peindre à la façon d’illustrateurs les vendeurs de la Medina. Les dessins rejoindront le carnet de Casablanca.
Pour trouver la matière, nous sommes partis avec Loriane en chasseur d’images. Le terme un peu guerrier n’est pas de trop, car les Marocains n’aiment pas qu’on les prenne en photo. Il nous fallait trouver des subterfuges pour saisir une cinquantaine de clichés, à la recherche d’authenticité et d’inattendu.
La ligne artistique, à travers différents personnages, est de montrer le lien invisible entre eux et leur rapport avec le lieu (La Medina). J’avais en tête le Père Goriot : « Enfin toute sa personne explique la pension, comme la pension implique sa personne. La borgne ne va pas sans l'argousin, vous n'imaginerez pas l'un sans l'autre. »
Chaque tableau est lié avec le précédent par un détail. Le dernier tableau est en résonnance avec tous les autres en reprenant un (autre) détail de chacun d’entre eux. Ils sont les Ricochets.
Le clip
La musique
Le clip est en tout premier lieu un morceau de musique. Il a été composé par Minetti, à partir d’un riff sur 2 accords, enregistré sur guitare acoustique, puis complété avec différentes variations sur toutes sortes de guitares.
Comme sur le projet Ellipse, nous avons ensuite longuement échangé par skype ou lors des pauses déjeuner pour donner corps au projet. Le peintre décrivait l'enchainement des tableaux, les musiciens envoyaient leurs rushes.
La structure du morceau est une intro, 9 tableaux et un final. L'ensemble dure 5mn et 28 secondes. Au fur et à mesure de la composition, nous imaginions ce que cela donnerait avec le vidéo.
La musique composée pendant la réalisation participe elle aussi du principe du ricochet :
Partie de huit notes de guitare sur deux accords elle s'est envolée de rebond en rebond, pour suivre le sujet des aquarelles de parties de piano, de synthés de batteries, sur des rythmes rock, techno, flamenco ou reggae dans un échange continuel entre nous trois.
Minetti
Le résultat nous a tellement plu que OAM et moi en avons fait chacun une reprise dans un style bien différent qu'Emms a mis en ligne.
Scène |
durée |
Temps début |
Temps fin |
Style |
---|---|---|---|---|
Intro |
00:26 |
00:26 |
Guitare solo |
|
tableau 1 Tripier |
00 :32 |
00 :26 |
00 :58 |
Cool – Guitare solo+arpèges |
tableau 2 Epiciers |
00:32 |
00:58 |
01:30 |
Piano + guitare |
tableau 3 Aveugle |
00:32 |
01:30 |
02:02 |
+ hard (guitares électriques) |
tableau 4 Smartphone |
00:32 |
02:02 |
02:34 |
Electro |
tableau 5 boutique d'argan |
00:32 |
02:34 |
03:06 |
Planant + électro |
tableau 6 Enfant aux épices |
00:32 |
03:06 |
03:38 |
Piano et guitare électrique |
tableau 7 Vieux vendeur de légumes |
00:32 |
03:38 |
04:10 |
Piano + guitare |
tableau 8 Pastèques |
00:32 |
04:10 |
04:42 |
Flamenco |
tableau 9 Le Volailler |
00:32 |
04:42 |
05:14 |
Reggae |
Logo |
00:14 |
05:14 |
05:28 |
Piano + guitare solo |
La vidéo
Le thème de la vidéo est importé d'un template acheté sur le net, puis que j'ai personnalisé. Le lien entre les habitants et la Médina est symbolisé dans les tableaux par des détails qui passent de l’un à l’autre, comme les maillons d’une même chaîne. Ce fil est représenté par un trait (noir sur fond blanc, blanc sur fond noir) qui se déroule tout au long du clip.
Chaque séquence de narration alterne un fond blanc en 2 dimensions, avec un fond noir en 3 dimensions. Le premier est un déroulé de l’histoire, le 2e pour « entrer dans le projet » et se perdre dans la Médina avec moi.
La narration est en noir et blanc, c’est-à-dire à la fois neutre, et coupée du réel, qui lui est en couleur. Des photos et films réels redessinés sont incorporés en noir et blanc. Les animations et les tâches de couleur (noires, grises et blanches) pour développer le thème de la peinture. La réalité est celle de l’artiste, qui révèle les couleurs, mais également impose sa vision.
Presque tous les tableaux passent de l’esquisse sur tablette à l’aquarelle. Chacun est présenté selon (mes) points d’intérêt, en faisant en sorte de laisser un peu de temps pour voir le tableau au final.Les rencontres
Pour clôturer ce projet qui m’avait permis jusque là de partager avec des musiciens mes sentiments artistiques au sein de la Medina, j’ai entrepris de donner aux personnes que j’avais peintes une reproduction du tableau qui les représente.
La Medina de Casablanca est très vaste, avec un enchevêtrement de rues. J’avais bien repéré l’emplacement de la boutique d’argan, mais pour les autres endroits, c’était une totale aventure. Suivi de ma famille, nous avons arpenté les ruelles, et retrouver en 3 heures de temps chacun des lieux. Et surtout chacune des personnes.
Au dos de chaque tableau, j’avais inscrit en Arabe « Je vous trouve formidable. Ceci est la reproduction d’une aquarelle que j’ai réalisée grâce à vous et dont je vous fais cadeau. ».
Les gens étaient surpris, mais très heureux. J’avais l’impression d’être un distributeur de bonheur. Je me suis rendu compte de la communauté qui existe à la Medina : des voisins arrivaient, le pouce levé, pour remercier avec quelques mots de Français. Pour l’aveugle, un de ses amis lui décrivait en Arabe le tableau « Monsieur a fait un tableau de toi, c’est vraiment toi, et il t’en fait cadeau ». Pour le vendeur de pastèques, ce sont des clientes qui commentaient le tableau. Et le vendeur nous a fait cadeau en retour de mandarines. Pour les épiciers, le plus vieux seulement était dans son échoppe. Il riait, et quand nous sommes repassés (je rappelle que nous arpentions les rues), il nous a arrêté le temps de trouver un ami qui parle Français : « il est très touché, et il me demande de vous remercier ».
Emotions.
Ricochet 1
Ricochet 1, Le tripier
Les tripes en premier plan, c’est cash ! Mais oui, cela fait partie de ce projet, l’authenticité. Loriane fait le ricochet d’Ellipse, mystère pour le ricochet du tableau suivant.
3 couleurs seulement sur tout le tableau : bleu outremer (green shade), terre de sienne, et rose permanent. La chromatique est entre le bleu-violet et l'orange, des couleurs complémentaires.
Comment peindre une peau noire : fond orange et ombre dans les violets. J'avais fait une étude sur carnet pour vérifier que les coloris seraient justes.
Ricochet 2
Ricochet 2, les épiciers
Sur cette aquarelle, j’ai travaillé les jeux de regard, et mis en opposition le personnage de droite très sombre, tandis que celui de gauche est peint en douceur dans les roses-bleu. Il y a également plusieurs plans (disons 3), avec des luminosités différentes.
Mais que de détails !! Je me suis demandé si j’en viendrai à bout, en restant cohérent. Les autres défis à relever :
- Peindre 4 variétés d’olives
- Des bouteilles avec reflet plastique
- Des saucisses dans une cagette avec film plastiques
- Plus de 15 inscriptions diverses
Ricochet 3
Ricochet 3, l'aveugle aux cigarettes
Une certaine intensité dramatique sur ce 3e tableau, il faut dire que j’avais été ému par cet homme vendeur je l’ai vu à la Medina pour son apparence misérable et pourtant très digne.
La mise en scène dans la composition suit les principes suivants :
- Côté très digne de personnage : costume fatigué, canne qui figure un sceptre. Le personnage souligné par une grande croix discrète dont il est le centre
- Sobriété des couleurs (quasiment tout en bleu et rouge), dominante violet pour le dramatique, rappel du bleu outremer
- Traits au feutre façon gravure du XIXe, avec des passages entre l’aquarelle et les traits. C’est très détaillé, et pourtant figuré par endroit (la chaussure gauche, l’intérieur de la vitrine à gauche du tableau).
Ricochet 4
Ricochet 4, Le dandy au smartphone
La 1ère partie de la Medina (la partie Sud) est plutôt pour les touristes. On y trouve des boutiques de vêtements, des blousons de cuir. Les rues sont étroites et couvertes, laissant passer ici et là des rayons de soleil.
Au détour d’une bifurcation, je vois ce jeune homme, très élégant avec ses vêtements de sport griffés, sa gomina et ses claquettes.
J’avais commencé ce tableau sous forme de cours d’aquarelle pour Loriane.
Mais j’ai peiné sur le visage et j’ai préféré interrompre le cours pour me … Démerder !
J’ai pris le dessus après une heure ou deux. Le tableau n’était pas évident car beaucoup de détail, par exemple le fil du téléphone, peint par en négatif et sans liquide masking, comme le font les aquarellistes puristes.
J’ai introduit des niveaux de flou, pour valoriser le personnage, que j’ai mis en valeur en simulant une lumière verticale.
Question du thème : quel est le ricochet avec l’aveugle - vendeur de cigarettes ?
Ricochet 5
Ricochet 5, La boutique d'argan
J’ai repris du tableau précédent le principe du flou progressif : le personnage et les plans qui ont le focus sont peints très précisément, tandis que les arrières plans sont peints vaguement. Sur ce tableau encore, beaucoup de bouteilles, d'articles de parfumerie.
Plutôt que de tracer au feutre les silhouettes des objets, je tente le monochrome sur aquarelle, qui est un genre officiel chez les aquarellistes (ils utilisent un mixte aquarelle et encre de Chine).
J’étais attentif au côté moderne et pourtant très contraint du personnage. Je vois cette ambiguïté chez beaucoup de femmes de Casa, partagées entre la vie moderne et traditionnelle. J’aimais le caractère propret de son établissement, tout en percevant sa précarité. C’est un peu comme le panneau en Français combiné avec des caractères Arabes.
Casa, quoi.
Ricochet 6
Ricochet 6, L'enfant aux épices
Par endroit, la Medina prend une ambiance colorée. Ce sont les rayons de soleil qui sont tamisés par les bâches.
La boutique d’épice est ombragée par une tenture jaune. J’appose un lavis orangé, sur lequel je peins les sujets en superposant les couleurs. Le jaune reste présent par transparence. Dehors, le soleil au zénith accentue les contrastes et projette des ombres verticales.
La composition est un X, avec deux points de lumière en diagonale (ici le haut gauche), et les points sombres sur l’autres diagonale.
Les points de lumière expliquent le soleil violent avec des contrastes forts et l’ombre sur le tas de riz, tout en donnant la perspective du tableau (regardez le point de fuite au-dessus de la 3e femme, à droite).
En opposition, l’étale aux épices est baigné dans une ambiance dorée, contrastée par la pénombre de l’arrière-boutique. Les objets divers apparaissent par leurs reflets (machine à moudre, miroir, boîtes, plateau en osier).
Comme pour Ricochet 5, les bords de la composition passent en monochrome pour centrer le regard sur les sujets principaux.
Ricochet 7
Ricochet 7, Le marchand de légumes
Dans la partie moins touristique, les habitants font leur marché. Dans l’ombre de sa boutique, je vois un vieux marchand qui vend des épinards et des radis. Les murs à plusieurs couches de peinture tranchent avec la pénombre de son échoppe.
J’aborde ce portrait en polychrome, c’est à dire en juxtaposant des couleurs franches. Comme il est peint sur une petite surface, je n’ai pu marquer la technique que dans les zones sombres du visage. Le bonnet est également polychrome, avec les mêmes couleurs.
J’accentue les murs en réservant des zones blanches au liquide à masquer. La chaîne à gauche est peinte à l’aquarelle, et marquée au feutre.
Le tout premier plan (sacs de sel) est positionné sous le nez du spectateur. C’est pour donner plus de perspective.
J’ai passé une après-midi entière sur les épinards et les poireaux. Ils sont peints en interprétation, c’est-à-dire plus ou moins flous pour s’intégrer à l’ensemble. Je voulais restituer l’impression des tas de légumes différents, sans détourner le centre d’intérêt. Je me suis donc « arrêté » pour laisser la structure des tas de légumes, sans les peindre avec réalisme. C’est difficile sur un dessin de prendre ce genre de décision.
Les bords du dessin sont réalisés au feutre.
Ricochet 8
Ricochet 8, Le vendeur de pastèques
Sur ce tableau, je voulais préserver la douceur du sujet, et la luminosité (le rose / orangé), ne pas en « rajouter ». Donc je l’ai peint en style aquarelle classique.
Qu’est-ce que cela veut dire ? Sur ce tableau, pas de feutre, ou de flou sur les côtés. Tout est peint en technique aquarelle. Enfin presque tout, car le coin en haut à gauche est presque abstrait pour figurer l’arrière-plan sans pour autant concurrencer le sujet principal.
Classicisme en aquarelle, c’est être capable de peindre une nature morte de façon convaincante, voire intéressante. Le défi sur ce tableau est de peindre les fruits. Je souris toujours en pensant à la 1ère année d’aquarelle dans les écoles à Moscou : peindre une pomme pendant un an. Cela m’avait découragé de m’y inscrire.
Je suis content de réussir non seulement une pastèque réaliste, mais également 10 autres avec un effet de d’éclairage pour une cohérence d’ensemble. Les oranges sont en principe plus faciles, alors sur l’étalas j’ai gardé leurs feuilles et brindilles, tout cela peint sans liquide à masquer. Cela veut dire des détails au millimètre pour garder la luminosité.
Continuant sur le style classique d’aquarelle, comment peindre un portrait. Il faut se servir de l’aquarelle plutôt que vouloir recopier son sujet.
3 trucs pour marquer le point, illustrés sur la 1ère étape du tableau ci-contre:
- Alterner les couleurs chaudes et les couleurs froides. Sur le visage, le crâne est dans les oranges intenses, le menton dans les violets. Le coin l’œil est vert, pour marquer l’ombre sans ajouter de noir. C’est plus lumineux d’avoir des couleurs que les salir avec du noir (qui en principe n’est JAMAIS utilisé en aquarelle, comme le blanc).
- Placer les points d’ombre et de lumière. Sur le visage, la lumière est sur le front, l’ombre sur le cou. Vous pouvez le voir aussi sur les bras, quelles parties sont restituées, et lesquelles sont placées dans l’ombre.
- « Interpréter » : c’est marquer de couleurs vigoureuses ce que l’on veut expliquer du sujet. Probablement le plus difficile à expliquer, mais si vous détaillez les mains, vous pouvez voir ce que je veux dire.
Ricochet 9
Ricochet 9, Le volailler
Dans la lignée des 3 aquarelles précédentes et dans une sorte de trajectoire artistique, l’intensité des couleurs est montée d'un cran. Mais comment monter les couleurs ?
J’ai pris une dominante rouge, car sur ce final, je pensais feu d’artifice.
Le portrait est réalisé en polychrome, comme sur le vendeur de pastèques. Toutes couleurs sont présentes : bleu, rouge jaune, et les complémentaires : orange, vert, et violet.
Le visage est tout petit, c’était un travail minutieux. Ensuite, j’ai réalisé des compositions très intenses sur chacune de ces 6 couleurs, toutes intégrées au tableau :- Bleu : le polo, contrasté par les rayures blanches
- Jaune : les poules (en fait, on y trouve tout un tas de variations : jaune bleu, jaune brun)
- Rouge : dominante avec les carreaux, et la cage
Les complémentaires :
- Orange : la caisse en bois, carreaux en haut à gauche
- Violet : la balance, le pantalon
- Vert : la caisse
En clin d’œil à cette débauche de couleurs, le balai, qui est complètement polychrome, comme le visage. Je l’ai dessiné au feutre pour bien cloisonner les franges, puis j’ai fait un dégradé de toutes les couleurs.
Enfin, pour éviter que feu d’artifice ne donne mal à la tête, j’ai introduit des dégradés gris et doux. On reste sur la théorie des gris souris, c’est à dire des gris à dominante, ici entre bleu outremer et marron. Ci et là des parties en beige (le compteur, les tabliers).
Et bien sûr les poulets, qui se détachent par les contrastes, assez peu sur leurs couleurs. Les poulets ont été peints soir après soir tout au long de la semaine. Il y a 3 zones :
- les coqs dont on voit les croupions, en haut de la cage
- les poules en dessous (plus indistinctes)
- Les poules du fond, qui sont des silhouettes.
La signature est peinte en polychrome, normalement cela ne se fait pas, mais c’était pour signaler qu’il y a quelque chose de spécial …
Eh oui, c’est le moment de la surprise : vous étiez habituée à deviner les ricochets d’un tableau à l’autre, et sur le 9e, il y a un ricochet de chacun des 8 tableaux précédents !
Solutions
Tableau |
Ricochet |
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tableau 1 Tripier |
Lien avec Ellipse : Loriane à gauche, et qui renvoie à Ellipse 3 |
tableau 2 Epiciers |
La boîte verte en haut à gauche, que l'on retrouve au dessus du personnage de gauche dans Ricochet 2 |
tableau 3 Aveugle |
Les lunettes noires, qui sont dans une pochette plastique au dessus de la grosse bouteille d'huile |
tableau 4 Smartphone |
Le paquet de Winston au bas du tabouret, qui renvoie au papier de la cartouche sur la caissse de l'aveugle |
tableau 5 boutique d'argan |
La pantalon de la vendeuse, qui était en présentoir dans la boutique du dandy, premier plan à droite. |
tableau 6 Enfant aux épices |
Le paquet de henné Royal, qui était dans la boutique d'argan en haut à gauche. |
tableau 7 Vieux vendeur de légumes |
Les gousses d'ail au premier plan |
tableau 8 Pastèques |
La chaine en fer, que l'on voit bien sur Ricochet 7. Sur ricochet 8, elle est représentée en tout petit juste sous la poutre à gauche, et qui tient un chiffon |