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Un an de circonvolution
En suivant une inspiration bande dessinée, le projet Fabuleux a démarré en avril 2021. Un mouvement, que nous connaissons tous, nous conduit au merveilleux. Parce que le mouvement est un défi pour le dessinateur, lui qui est figé dans l'instant. Faire de l'impossibilité de représenter une animation un avantage par la suggestion. Je voulais pousser cet avantage de l'artiste plus loin en amenant le spectateur au-delà du réel, littéralement au surréalisme. Le format bande dessinée permet de raconter une histoire, pour peu que l'on prête attention à une composition narrative.
Une page au format bande dessinée
Si toutes les pages BD n'ont pas la même dimension, disons qu'elles sont au format 2/3. Je l'ai transcrit sur un format 82 cm de haut, par 56 cm de large. Cela fait une affiche respectable, et me permet d'utiliser des feuilles d'aquarelle que je peux encore tendre sur une planche en bois. Oui, il faut tendre la feuille pour qu'elle ne gondole pas une fois humidifiée. Si elle gondole, les pigments se concentrent dans les creux et c'est un problème quand on utilise une technique "mouillé sur mouillé".
L'histoire racontée
Un pêcheur descend les rochers au soleil couchant. Face à l'océan, il élance sa formidable canne à pêche, tandis que la nuit tombe. Et du ciel, il ramène une étoile.
L'histoire est assez concise et se résume à un geste. J'ai fait une première tentative au printemps 2021, que j'ai arrêtée et reprise 6 mois plus tard. Entre les 2 versions, j'ai perdu mon ami Benoît, qui est devenu mon pêcheur d'étoile.
En fin d'article, quelques mots sur le clip .
Vous pouvez télécharger la musique et l'article sur ce lien .
Les noirs et blancs
J'ai composé chaque dessin sur ma tablette numérique, mais en préparant la page comme un seul dessin. Les axes de compositions sont ainsi propres à chaque dessin, mais s'insèrent dans la page.
Voici les axes principaux de composition
- Les 2 images de fin renvoient aux personnages de la première image : la direction des bras, l'orientation de la canne à pêche. C'est une sorte de X, pour boucler l'histoire sur elle-même. J'aime cette idée de cycle enroulé sur lui-même.
- Sur la première image, la vue est en légère plongée, c'est-à-dire que le spectateur est placé au-dessus de la scène. Progressivement, le pêcheur devient dominant par un effet de contre plongée. Dans l'horizontal de la 1ère image, il disparaît vers l'horizon.
- Les 2 images de transition décomposent le mouvement de lancer, dans un axe qui suit la lecture de gauche à droite.
La composition une fois en place, je travaille très précisément les valeurs de chaque image par un système de hachures. A cette étape de la préparation, j'ai en tête l'aquarelle finale, les zones que je laisserai quasi blanches, et celles qui seront très foncées ou très vives. Le hachurage est simple à réaliser, et il permet sur un noir et blanc de vérifier la cohérence des valeurs.
Arrivée
Le pêcheur est un homme ordinaire à cette étape de l'histoire. Le dessin représente 3 moments du même personnage descendant les rochers. Chacun de ces moments est inscrit dans un carré, de la gauche vers la droite :
- Il arrive, la canne sur l'épaule. Toute cette partie est hachurée, pour donner force au dessin. Le personnage fait toute la hauteur de dessin, le soleil se reflète sur sa peau.
- Le pêcheur enjambe les rochers. Il devient acrobate, et la canne lui sert de perche. Une mouette salue son arrivée. La mouette est une référence à Ricochet , c'est pour moi un symbole de Casablanca. Retrouvez-la dans la tête dans les étoiles.
- Arrivé au bout des rochers, il est en complet contre-jour et n'est plus qu'une silhouette se découpant face à l'horizon
Les couleurs sont jaune citron, rose permanent, orange cadmium, bleu outremer, quinacridone violet + une pointe de brun de Van Dyck. C'est une palette très intense, pour mettre le feu sur le ciel et l'océan. Le bleu outremer est une référence marocaine (jardins Y.St Laurent de Marrakech).
Transe
Sur cette 2ème image, le pêcheur disparait dans un geste que l'on peut comparer à un kata martial. Un pas en arrière pour prendre son élan, puis un pas en avant, il disparait sous sa canne quand il la projette vers l'avant. Les couleurs sur son buste se refroidissent à chaque mouvement, l'entraînant progressivement dans la nuit à chacun de ses mouvements.
Le bas de son corps perd en couleur graduellement. Le pagne forme un animal multi-jambes qui donne la direction du mouvement. Par cette symbolique, celui que nous prenions pour un simple pêcheur se révèle être un sorcier, capable d'affronter les éléments.
la scène naturelle devient totalement abstraite. Elle est remplacée par des points et des traits dessinés au liner, sur fond d'aquarelle.
Le guerrier
Les couleurs : La nuit s'est installée.
Elle est représentée sur un outremer pur (partie supérieure), qui passe progressivement sur un gris (ajout de brun de Van Dyck).
Le personnage est monochrome, pour restituer l'ambiance nocturne -la nuit, les couleurs disparaissent. Le gris est un bleu obtenu à partir de bleu d'Anvers, d'orange sans cadmium et d'une touche de Violet quinacridone. Ce sont des couleurs qui peuvent donner beaucoup de luminosité, mais qui assemblées tendent vers un gris, ici dominé par le bleu d'Anvers. Pour l'aquarelliste, garder l'équilibre est un jeu de pyromane.
La composition :
Le personnage est présenté de face pour la première fois, et surplombe légèrement le spectateur. Il est sur la pointe de son pied gauche et relève la tête qui était courbée la seconde d'avant. L'élan vertical est marqué par la canne à pêche qui point vers le soleil de la 1ère image.
Le monochrome :
Peindre en monochrome à l'aquarelle est un genre qui a ses maîtres (voir Dasha Rybina). Il faut placer les clairs et sombre, puis travailler sur les tons intermédiaires.
Bien sûr le remord n'est pas possible, c'est tout l'intérêt du genre.
La tête dans les étoiles
L'histoire :
Ici, le pêcheur rentre en contact avec les astres. C'est le moment fabuleux de la page, celui où il atteint le ciel par le bout de sa ligne. Alors que tout était mouvement, l'instant se fige. C'est une césure narrative.
Les procédés superlatifs :
- Pour suspendre le temps, j'ai recouru à divers procédés visuels :
- La composition évidemment : l'angle de vue en contre-plongée est inattendu. Les formes sont très simples, suivant un motif triangulaire. Les axes de compositions sont liés à l'histoire : la mouette ramène au personnage, le personnage renvoie au 3ème pêcheur de la 1ère image.
- La nuit vire du bleu outremer au noir. Les zones sombres dessinent une sorte d'étoile dont le personnage est le centre.
- La texture aquarelle est fortement exprimée par les contrastes de grain, que reprend le blanc absolu des étoiles. En opposition, les personnages (la mouette et le pêcheur) sont représentés par des hachures qui ramènent à la gravure. Les gris monochromes des personnages prennent les teintes violet, jaunes et bleues que permettent la palette des pigments expliquée à l'aquarelle précédente.
- Les zones les plus claires symoblisent la connexion entre le ciel et l'homme : les étoiles la ligne le manche de la canne La forme des bras le torse.
- L'allégorie de la mouette : elle est introduite sur la 1ère image. Ici, elle prend la forme d'une tête de flèche pointée vers l'homme. Remarquez le pendentif du collier : oui, c'est un crâne d'oiseau. Vie et mort se connectent sur cette image, et posent la question : "ne le voyais-tu pas ?".
Lumière
La fin de l'histoire :
Nous arrivons à la fin de l'histoire, je dois conclure. Comme expliqué dans la section Noir et blanc, cette dernière image ramène à la première, dans une sorte de cycle : la canne à pêche pointe sur le tout premier personnage, l'angle de vue du spectateur est inversé passant d'une vue en plongée pointée sur l'épaule droite du pêcheur à une contre plongée sous sa jambe gauche.
L'inversion est également chromatique : le personnage sombre qui se détachait sur le coucher de soleil est maintenant paré des couleurs de feu.
Retour à l'aquarelle :
Je ne me suis pas ménagé pour ce dernier tableau. Pas de hachures, l'ambiance lumineuse est entièrement rendue à l'aquarelle.
J'avais pas mal travaillé le dessin, avec une pose victorieuse mais décontractée traduite par un léger déhanché. Pour savoir comment représenter une lumière de nuit, je suis allé rendre visite à Caravage, Georges de La Tour et Rubens. Sur la même sélection de pigments que pour la 1ière image, je passe de jaune au rouge puis au noir, avec une prédilection pour le rose permanent. Si la couleur du corps est vive, les vêtements sont en lumière blanche, et la jambe gauche se fond dans le bleu. Les ombres donnent la profondeur et le mouvement. J'ai placé un point rouge au milieu du bleu avec un reflet sur la manette du moulinet.
Le ciel :
Il est faussement simple. Une seule couleur, le bleu outremer. Les étoiles ont disparu du ciel, parce que celle pêchée par notre héros oblitère toutes les autres. Je dis faussement simple car j'ai entrepris un dégradé circulaire. La zone la plus claire est l'étoile dans la main gauche du pêcheur. Ce n'est pas facile à faire à l'aquarelle. Je l'ai réalisé sur plusieurs passages, en prenant garde de ne pas marquer de bordures de pigments et en laissant reposer la feuille à chaque passage. Cela m'a pris toute une semaine.
La musique
Nuit, océan et ciel étoilé
J'avais passé commande à OAMM pour une bande son de 2mn30s. Nous avons pas mal échangé, sur une année d'avril 2021 à janvier 2022. En parallèle, OAMM a composé plusieurs autres morceaux pour la suite des pages de Fabuleux, vous pouvez les retrouver sur le blog.
Voici la structure :
- Séquence 1 : mer, nuit, poésie, simplicité, étoiles qui scintillent ;
- Séquence 2 : transition entre le normal et le fabuleux, mouvement vers la voûte des étoiles montée chromatique du cor ; mouvement de la canne (comme au ralenti) arpégiateur électro ;
- Séquence 3 : bascule dans le fabuleux, espace sidéral (comme les séquences espace dans Star Wars) retour à la mer.
Aujourd'hui, il me reste à composer le clip, qui va raconter en image et en musique la lecture des 5 images qui composent la page d'aquarelle.
Donc peu d'effets, juste l'enchainement des plans en suivant le fil de l'histoire.
J'en ai quand même fait un peu plus.
Puisque le mouvement est au coeur du tableau, je l'ai restitué sur deux animations.
Le clip sur est ici. N'oubliez de laisser un commentaire.